Interpellation du Conseil de prévention de Bruxelles


Le Conseil de Prévention c’est quoi au juste ?

Il est institué un conseil de prévention dans chaque division ou dans chaque arrondissement qui n’est pas composé de divisions.

Le conseil de prévention stimule et coordonne la prévention sur le territoire de la division ou de l’arrondissement ou sur le territoire déterminé.

Le conseil de prévention a pour missions, à l’échelle de son territoire :

  1. d’établir un diagnostic social, sur la base du projet du chargé de prévention ;
  2. d’élaborer, sur la base du diagnostic social, une proposition de plan d’actions triennal et d’affectation du budget disponible ;
  3. de favoriser la concertation et la collaboration de l’ensemble des acteurs en matière de prévention ;
  4. d’informer et, le cas échéant, d’interpeller les autorités pu­bliques de tous les niveaux de pouvoir au sujet de toute condition défavorable au développement personnel des jeunes et à leur insertion sociale ;
  5. de dresser tous les trois ans un bilan des actions menées et de procéder à une évaluation de la prévention ;
  6. de communiquer le diagnostic social et l’évaluation triennale au Gouvernement, au collège de prévention, aux conseils provinciaux, aux conseils communaux et aux conseils de l’action sociale.

 

L’interpellation du conseil de prévention de Bruxelles, juillet 2020.

Le conseil de prévention de l’arrondissement de Bruxelles a au nombre de ses missions, comme le prévoit le décret du 18 janvier 2018 portant le code de la prévention, de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, celle « d’informer et, le cas échéant, d’interpeller les autorités publiques de tous les niveaux de pouvoir au sujet de toute condition défavorable au développement personnel des jeunes et à leur insertion sociale ». Une des particularités de ce conseil est sa composition intersectorielle, ce qui lui confère une légitimité inédite.

 

Le confinement imposé à l’ensemble de la population, rendu nécessaire pour contrecarrer la propagation fulgurante du coronavirus, n’a pas eu le même impact ni les mêmes conséquences pour tous. Dans ce contexte, des rencontres ont été organisées ces derniers jours entre les membres du conseil afin de partager et analyser leur vécu professionnel.

 

Cinq groupes de travail intersectoriels se sont constitués, ceci afin de favoriser l’émergence d’analyses globales. Nous ne prétendons aucunement avoir accompli un travail scientifique, mais le texte qui suit est cependant le reflet fidèle des observations menées par les acteurs de terrain au contact direct de la population. Unanimement, les groupes tiennent à faire remarquer que le confinement n’a pas réellement provoqué ou révélé de nouvelles difficultés sociales pour les jeunes et les familles, mais a par contre exacerbé, voire fait exploser celles qui étaient déjà constatées parfois depuis fort longtemps. Ceci s’est révélé partout dans la capitale, et sans doute de façon plus préoccupante dans les quartiers populaires.

 

La peur a impacté lourdement nombre de familles, et ceci dans des champs multiples.

 

Peur du virus, évidemment, mais pas seulement pour des raisons de santé :  la crainte de perdre un emploi en cas de maladie avérée au sein de la cellule familiale était bien réelle. Travail le plus souvent déjà précaire avant la crise, peu soumis à des filets de sécurité, et abondamment convoité.

 

Peur des conséquences de la promiscuité forcée pour des familles défavorisées, contraignant souvent un grand nombre de personnes à cohabiter vingt-quatre heures sur vingt-quatre à l’intérieur de logements exigus et dépourvus de confort . Ces familles ont été mises à rude épreuve, et si certaines ont réussi à resserrer leurs liens internes, d’autres, nombreuses, ont vécu de fortes tensions pouvant entrainer des comportements inappropriés voire de la violence intrafamiliale. Les familles monoparentales (le plus souvent des mères seules), déjà structurellement plus fragiles, ont été particulièrement impactées. La demande d’avoir accès à des lieux de « décompression » a fréquemment été formulée. La fermeture des écoles et crèches s’est montrée ici lourde de conséquences, et l’impossibilité de mener pour beaucoup la moindre activité rémunératrice a été pour ces parents isolés une source d’angoisse permanente. Les services mandatés ont dû constater que les violences intrafamiliales, en ce qui concerne les familles déjà suivies, ont augmenté en fréquence et en intensité. Si les membres du parquet jeunesse et du Service d’Aide à la Jeunesse ont constaté dans un premier temps une diminution des signalements de situations de maltraitance qu’ils attribuaient à la cessation d’activité de leurs relais naturels (écoles, crèches, ONE, PMS, …), depuis la mi-avril leur augmentation est hélas significative.

 

Peurs irraisonnées, générées par une communication officielle jugée incompréhensible et dénuée de clarté, aux injonctions contradictoires et aux consignes de sécurité impossibles à respecter puisque ne tenant que très peu compte du contexte social. Ceci a poussé la population vers la recherche d’informations moins fiables encore, souvent même fantaisistes et dangereuses, disponibles à foison sur le net et les réseaux sociaux. Un lien basé sur la confiance est très probablement à reconstruire avec de nombreuses familles qui ont eu le sentiment profond d’avoir été littéralement abandonnées par les pouvoirs publics, plongées dans des angoisses génératrices de dépressions et de désaffiliations. Nos différents services peinent encore aujourd’hui à reprendre contact avec certaines d’entre elles qui vivent toujours un confinement absolu.

 

Peur de « l’autre », les plaintes de voisinage ayant significativement augmenté ces derniers mois. La crainte de l’altérité, déjà bien présente dans nos quartiers et génératrice d’un repli communautaire difficile à vaincre, se mue maintenant pour certains en frayeur face à tous ceux qui ne font pas partie de la bulle familiale restreinte.

 

Peur de la police enfin : pour échapper à une situation vécue par beaucoup comme anxiogène et poussés par le besoin impérieux d’entretenir des liens sociaux, des adolescents n’ont eu bien souvent d’autre recours que d’investir l’espace public, au mépris des règles en vigueur. Des amendes importantes, parfois multiples, ont à la fois alourdi encore la charge pesant sur les familles et accru d’autant les tensions internes.

 

 Il est impossible de quantifier les dérives policières survenues pendant cette période, mais il serait difficile de les nier, tant les témoignages les signalant sont nombreux. Elles semblent directement corrélées au niveau socioéconomique des victimes. A Bruxelles, septante et un pour cent des abus allégués ont eu lieu dans le croissant pauvre (étude menée par la Ligue des Droits Humains : Abus policiers dans le cadre du confinement : le rapport de Police Watch). La plupart du temps, les familles rechignent à déposer une plainte : elles ont seules la charge de fournir les preuves corroborant les faits qu’elles dénoncent, ce qu’elles vivent comme un mépris de leur parole et se plaignent de ne recevoir aucune information sur le suivi donné à leurs démarches. Ces tensions opposant jeunes et forces de l’ordre ne sont pas nouvelles, et il faut hélas constater que les tentatives de dialogues se sont le plus souvent soldées par des échecs : les remises en question sont difficiles de part et d’autre, et l’appareil policier et judiciaire lourd et rigide.

A la fois utile et abusive, menaçante et rassurante, la police est perçue de manière ambigüe et contrastée. Cette forme de schizophrénie structurelle complique d’autant le travail des acteurs sociaux souvent confrontés à des récits contradictoires, opposant jeunes et autorités. Ceci n’est évidemment pas sans amplifier une fois de plus la perte de confiance dans la société observée au sein de la jeune génération.

Se focaliser sur de gros événements violents médiatisés serait une erreur. Le contrôle au faciès est malheureusement trop souvent une réalité, et concerne parfois quotidiennement les jeunes dès leur plus jeune âge. Ceci induit le développement d’attitudes provocantes dans le chef de ceux-ci. Sans nier leur part de responsabilité, force est d’observer que l’adolescent ou jeune adulte est souvent perçu comme un délinquant potentiel, alors même qu’il ne commet aucun acte justifiant l’attention des forces de l’ordre. Ces contrôles abusifs sont monnaie courante depuis de nombreuses années, et posent de nombreuses questions. La xénophobie joue à l’évidence ici un rôle moteur. Il semble difficile pour nos forces de l’ordre d’intégrer une forme d’occupation de l’espace public qui dépasserait le simple déplacement d’un point à un autre avec un but précis, mais qui serait plutôt vécue comme l’investissement d’un lieu de socialisation. Un espace commun de vie que s’approprierait l’ensemble de la collectivité sans autre objectif que la rencontre. Cette absence de traduction culturelle génère des tensions qui peuvent facilement se muer en explosions irraisonnées.

 

Les relations pour le moins problématiques entre de nombreux jeunes et l’école avant le début de l’épisode particulier que nous traversons, se sont distendues pour beaucoup jusqu’à devenir inexistantes. Certains établissements ont perdu le contact avec la quasi-entièreté de leurs élèves. En « congé » scolaire depuis plus de trois mois, et à l’aube de deux mois supplémentaires, nombreux sont ceux pour qui la scolarité ne sera plus en septembre qu’un lointain souvenir nébuleux. Beaucoup d’établissements n’ont pas réussi à mettre en place une activité suivie via les technologies numériques. Certains l’avouent, d’autres non.

A la décharge de ces derniers, situés la plupart du temps dans les quartiers les moins favorisés, la fracture numérique a rendu impossible toute velléité de travail à distance. Cette fracture s’est matérialisée de deux manières. La première, évidente, concerne l’accès à la technologie : ordinateur performant, imprimante, connexion fiable et rapide, webcam, logiciels adéquats. La seconde, plus préoccupante, relève de la capacité à utiliser l’outil. La plupart des adolescents concernés utilisent la technologie soit de manière ludique, soit comme outil de communication et de socialisation. En aucun cas comme outil de travail ou de formation. La barrière de la maîtrise de la langue et plus singulièrement encore de la chose écrite est ici particulièrement handicapante pour nombre de ces jeunes qui fleurtent parfois et malheureusement de plus en plus souvent avec l’illettrisme. Un véritable apprentissage du français (ou du néerlandais) leur fait d’ailleurs souvent défaut, et la responsabilité ne leur en incombe nullement : le problème est structurel, et peu de possibilités s’offrent à eux dans le cadre institutionnel.

 

Il est cependant des étudiants qui se sont littéralement retrouvés submergés de travaux à remettre. Mais s’il y avait un ordinateur à la maison, il était souvent unique, et à partager avec toute une famille. S’il y avait une imprimante, denrée plus rare, encore fallait-il disposer d’encre et de feuilles. De beaucoup d’encre et de feuilles. Ce qui représentait un coût non négligeable. Il fallait aussi un espace où travailler. De préférence au calme. Avec un encadrement propice au travail. Dans un appartement à la taille réduite et souvent surpeuplé, la tâche était pour le moins difficile. Et quand on avait besoin d’un coup de pouce, vers qui se tourner ? Beaucoup de parents ont été confrontés aux difficultés rencontrées par leurs enfants sans pouvoir leur apporter la moindre aide efficace. Ils se sont ainsi sentis disqualifiés, prenant quelques fois seulement la mesure des exigences scolaires.

Une peur s’installe encore une fois. Celle nourrie par des parents concernant l’avenir de leurs enfants.

Les inégalités intrinsèques à notre système éducatif ainsi que le décalage entre ce dernier et la culture familiale ont été particulièrement visibles tout au long du confinement. Il faudra être très vigilant lors de la rentrée de septembre, en espérant qu’elle puisse avoir lieu dans des conditions proches de la normalité. Nombre de jeunes risquent de s’enliser dans un décrochage dont ils auront du mal à s’extirper.

 

Que penser de cette fin d’année scolaire particulière ? Les conseils de classe sont souverains, il n’y a pas eu d’évaluations de fin d’année. Ce n’est ni une bonne, ni une mauvaise nouvelle. Juste un fait. Pour les élèves n’ayant pas de difficultés particulières, c’est un soulagement. Mais pour les autres, qu’ils aient ou non « réussi », comment ne pas imaginer une incertitude quant à leurs réelles aptitudes à suivre l’année prochaine pour les « chanceux », et le développement d’un sentiment d’injustice face à un arbitraire pour les autres ?

 

Un dernier point à relever est l’angoissante et réelle perte de revenus pour les nombreux étudiants du supérieur qui finançaient leurs études grâce à un job d’étudiant. Pour bon nombre d’entre eux, cette situation subie a pu avoir pour conséquence l’abandon pur et simple de leurs projets d’études.

 

Les Centres Publics d’Action Sociale ont fait preuve de souplesse dans les modalités d’obtention du Revenu d’Intégration Sociale, et c’est heureux. Des solutions ont pu être trouvées au cas par cas, mais beaucoup ont encore été « oubliés ». Plusieurs services AMO ont observé une augmentation de la prostitution, tous sexes confondus, ainsi qu’un accroissement de jeunes adultes ne disposant plus de logement et vivant des épisodes à la rue. Le public considéré comme le plus fragilisé il y a quelques mois déjà a disparu des radars des services d’aide.

 

Tous ces constats sont loin d’être exhaustifs, et chaque jour nous apporte son lot de nouvelles situations génératrices de souffrances. Des mécanismes d’entr’aide ont été nombreux à se mettre en place ces derniers mois, à l’initiative de petites associations ou même de particuliers. Cela est heureux pour tous ceux qui ont pu bénéficier d’un peu de répit, mais cela témoigne aussi de la dégradation des conditions de vie, de la paupérisation grandissante des familles les plus précaires et in fine de la désaffiliation d’une part importante de la jeunesse. La crise sanitaire a servi de révélateur. Elle a mis en évidence des réalités que nombre d’entre nous tentent de rendre visibles depuis de années déjà. Les problèmes sont structurels, et c’est à nos décideurs politiques de les prendre à bras le corps.

 

Marc De Koker Philippon Toussaint

Coprésidents du conseil de Prévention de l’arrondissement de Bruxelles

 

 

Le conseil de prévention se compose :

  1. du chargé de prévention de l’arrondissement ;
  2. d’un représentant de chaque service d’actions en milieu ouvert dont la zone d’action agréée est située sur son territoire ;
  3. d’un représentant de chaque service agréé non mandaté autre qu’un service d’actions en milieu ouvert dont la zone d’action agréée est située sur son territoire ;
  4. d’un représentant des services résidentiels agréés et mandatés dont la zone d’action agréée est située sur son territoire ;
  5. d’un représentant des services non résidentiels agréés et mandatés dont la zone d’action agréée est située sur son territoire ;
  6. du conseiller ou de son représentant ;
  7. du directeur ou de son représentant ;
  8. d’un facilitateur au sens du décret du 21 novembre 2013 organisant des politiques conjointes de l’enseignement obligatoire et de l’aide à la jeunesse en faveur du bien-être des jeunes à l’école, de l’accrochage scolaire, de la prévention de la violence et de l’accompagnement des démarches d’orientation ;
  9. d’un représentant des maisons de jeunes, centres de rencontres et d’hébergement et centres d’information des jeunes au sens du décret du 20 juillet 2000 déterminant les conditions d’agrément et de subventionnement des maisons de jeunes, centres de rencontres et d’hébergement et centres d’information des jeunes et de leurs fédérations ;
  10. d’un coordinateur subrégional de l’Office de la naissance et de l’enfance ou de son représentant ;
  11. d’un représentant des centres publics d’action sociale ;
  12. d’un représentant des dispositifs communaux de cohésion sociale visés par le décret de la Région wallonne du 6 novembre 2008 relatif au plan de cohésion sociale dans les villes et communes de Wallonie, pour ce qui concerne les matières dont l’exercice a été transféré de la Communauté française ou par le décret de la Commission communautaire française du 13 mai 2004 relatif à la cohésion sociale ;
  13. d’un représentant de la plate-forme de concertation en santé mentale ;
  14. de deux magistrats de la jeunesse, l’un du siège, désigné par le président du tribunal de première instance de la division ou de l’arrondissement, et l’autre du ministère public, désigné par le procureur du Roi auprès du tribunal de première instance de la division ou de l’arrondissement.
  15. un avocat spécialisé dans le domaine de l’aide à la jeunesse et de la protection de la jeunesse, désigné par le bâtonnier de l’Ordre des avocats